Synopsis
Un homme qui se prétend géomètre arrive un soir dans le domaine de l'improbable comte West-West. Personne dans le village ne reconnaît la légitimité de sa mission. K. va donc errer d'un lieu à l'autre en quête de cette légitimité inaccessible, aussi inaccessible que la route qui mène au château. Mais cette errance n’est peut-être qu’un moyen pour montrer autre chose. La matière qui génère le récit, qui le parasite aussi bien donne à l’errance un caractère d’incertitude ; l’image refuse la forme ou c’est la forme qui tout simplement se refuse à l’image. Le récit avance et s’autodétruit, s’autodétruit au fur et à mesure qu’il avance s’affirmant autant si pas plus comme un piétinement réitéré. Jamais le Château n’apparaît vraiment, jamais K. ne rencontre Klamm, l’intermédiaire mystérieux et bureaucratique de l’administration du Château. Aller vers le Château, c’est s’égarer à coup sûr. Ouvrir les pages du livre revient à risquer de se perdre dans la matière noire et saccagée. Le livre se refuse à l’instar du Château. Hypothèse plus radicale encore, c’est l’œuvre et le souci de faire œuvre qui se refuse. L’impossibilité prend des proportions énormes. Se rendre d’un point x à un point y devient une exigence outrancière. Le décor tient plus de la cabane que du palais. Là ne règne que l’hostilité la plus totale. On touche aux limites du sens social et de l’humain. Toute joliesse qui pourrait faire passer la pilule amère de cette révélation proprement néantisante a été écartée pour ne laisser apparaître que la rugosité de la chose. La chose et ce qu’est la chose, rien de plus rien de moins. Alors intervient le comique de la chose précisément, car K. demeure insensible à la révélation néantisante du Château, il s’en contrefiche, lui, ce qu’il veut, c’est se rendre au Château pour éclaircir son problème administratif. K. tourne allègrement le dos au langage du Château, il n’y entend rien et ne veut rien entendre d’autre que son langage à lui. Le Château est aussi le récit d’un malentendu. Le courant ne passe plus, le sens s’est refermé sur lui-même et sera désormais inaccessible. A ce jour, nous errons toujours dans le domaine du Château.
Unanimement saluée lors de sa sortie en 2003, l’adaptation du Château de Kafka par Olivier Deprez était depuis longtemps épuisée. Elle reparaît enfin dans une nouvelle édition qui met en valeur, grâce à un travail de photogravure particulièrement soigné, la beauté expressionniste des gravures sur bois et la tension hypnotique entre ombres et lumières, apparitions et disparitions, qui est au cœur même de l’œuvre.
Il a fallu huit ans de recherches et d’expérimentations à Olivier Deprez pour donner corps à son adaptation du chef-d’œuvre inachevé de Kafka. Une errance graphique à la mesure de celle de K., le protagoniste géomètre qui arrive un soir dans le domaine de l’improbable comte West-West et cherche, en vain, à atteindre le Château.
Le choix de la gravure sur bois crée une atmosphère brumeuse et vacillante, tout en ombres et lumières, qui cherche à retranscrire bien plus l’univers angoissé du roman que l’histoire, et, surtout, l’écriture kafkaïenne et son impact sur le lecteur. Les formes et les personnages sont à peine esquissés, réduits à des lignes ou des masses qui apparaissent et disparaissent, à l’image du Château, à la fois présent et inaccessible, et bien sûr du sens même, qui se dérobe tout en se développant à l’infini. Ouvrir les pages du livre, c’est accepter de se perdre dans une matière noire et saccagée, un univers en apparence hostile, sombre et tourmenté, mais qui se révèle profondément habité pour qui prend le temps de voir.
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